Qui suis-je… vaste question ! par Gabriel Kevlec

 

Qui suis-je… vaste question ! par Gabriel Kevlec


Je suis un homme sous couverture, un amant sous les couvertures, un tendre amoureux éperdu, un auteur aux verbes perdus, la poésie en carapace, la mélancolie pour rapace, un féru d’art et de guipure, les mots en loup sur la figure…

Je suis les entailles d’Édouard aux mains d’argent, les cheveux de Miss Fine, l’asociabilité de Sheldon Cooper, la mélancolie de Ferré, les envies d’ailleurs de la Petite Sirène, la folie de Van Gogh, les rêves de Cendrillon, le sacrifice du Rossignol de Wilde, l’amour d’Éléa de Barjavel, la Missing Piece de Silverstein, la Bête de la Belle, la volupté de Billy Vega, la passion des corps de Mapplethorpe, l’éternité de Julie Andrews…

Je suis l’incarnation même de la frustration : je veux toujours tout, tout de suite, sans retenue ni mesure. Je veux la mer et la montagne, l’eau et le ciel, Paris et Londres, son corps et son cœur, le coup de foudre et le coup de foutre, le « Je t’aime » et le « Baise-moi », l’anonymat et le succès… Je veux toujours plus, je veux le rêve éveillé, le conte de fées quotidien… Je rêve trop fort, toujours trop fort… Je rêve de l’étreinte magistrale qui diluerait dans l’épectase le gris qui trop souvent vient embrumer mes jours.

Je rêve de la grande histoire, le soulier qu’on me ramène après minuit, la rose qui garde tous ses pétales, le baiser qui rend la voix, la déclaration écrite à la plume, le coup de foudre sous le pont de Madison, et ses bras, ses bras immenses qui m’enlaceraient, délinéant un monde fait de nos vastitudes, de ce « Je t’aime » qu’il murmurerait dans ma nuque en ravissant mon cul, de nos corps cousus bord à bord, et le reste on s’en fout…

Je rêve de l’inatteignable, de l’inaccessible. J’admire ceux qui parviennent à se contenter de ce qu’ils ont. Moi, je vieillirai alourdi d’un million de rêves inachevés.

Je suis un auteur à qui on a ôté les guillemets il y a peu, et qui espère toujours voler. Mon premier battement d’ailes, Cordons, a été comme un saut dans le vide. D’un seul coup, j’ai été projeté dans un monde que je n’osais qu’imaginer. J’y ai rencontré des personnes merveilleuses, quelques personnages toxiques aussi – mais que serait un conte de fées sans méchants ? Avec Le Choix de l’Oranger, je me suis livré sans fard, j’ai dénudé mon inframonde, mes amours, mes douleurs aussi. Ce livre est et restera pour moi ma plus grande fierté, même si, et je le déplore, il semble moins attirer les foules. En Toi est le roman que je voulais écrire adolescent, quand je me sentais invisible au point de douter de mon existence et pourtant animé d’un amour si grand qu’il débordait de moi. Mon prochain roman, Garde-moi la Dernière Danse, est une déclaration d’amour que je ne lui enverrai jamais mais qui trouvera, j’espère, un chemin jusqu’à sa place publique.


Quels sont les thèmes de tes romans ? Pourquoi écris-tu ? Quels sont tes sujets d’inspiration ?


J’écris comme d’autres respirent, furieusement, inlassablement, cherchant dans mes répertoires de couleur la teinte parfaite pour le mot d’après, et celui d’après, et celui d’après… J’essaie d’encrer mes illusions, d’ancrer mes rêves, de leur donner un corps de papier, une réalité tangible, palpable. J’écris parce que je ne sais rien faire d’autre, et parce que je n’ai jamais osé lui dire Je t’aime en le regardant dans les yeux.

Mes inspirations viennent beaucoup de l’art dont je me nourris sans cesse et de ces hommes fabuleux que j’ai eu la chance de rencontrer au hasard des réseaux sociaux. Chacun à leur manière a été une pierre de mon château de conte intérieur ; mes personnages sont un peu moi et beaucoup eux.

Pour Cordons, le thème principal est le pardon : comment pardonner et se faire pardonner après avoir été le cauchemar de l’autre. On y suit un flic, Andrew, qui se voit obligé de travailler avec un psy, Milton, son harceleur à l’époque du lycée. Dans ce roman, j’ai tenté de donner aux personnages un motif complet, pour sortir du schéma simpliste du méchant harceleur et du gentil harcelé. Chacun a ses torts, ses faiblesses, ses excuses, et surtout, chacun a ses sentiments contre lesquels ils luttent ou qu’ils embrassent.

Pour LeChoix de l’Oranger, le thème premier est la naissance du sentiment amoureux et le questionnement de son exclusivité. Ce livre est particulier, parce qu’il prend racine dans le réel. Il y a environ trois ans, un homme a posté sur twitter une anecdote concernant un de ses rêves. J’ai répondu. Et puis l’enveloppe des messages s’est allumée d’un petit « 1 » bleu.

Tout a commencé ainsi, par un rêve. Avec le recul, il n’aurait pu en être autrement.


Je suis tombé dans l’inframonde, et je suis tombé amoureux. Le Choix de l’Oranger est l’histoire de ces chutes successives, de celles qui vous enterrent à mille lieues sous la surface du monde ou vous projettent dans ses bras. Une bonne partie de ce roman est autobiographique. Si Cordons sortait de ma tête, cette histoire sort directement de mon cœur, de mon passé et de mes rêves. Si vous me rencontrez un jour, vous verrez sur ma main gauche un cœur bleu tatoué. L’encrer dans mes mots n’a pas suffi. Je l’aime en bleu, et je l’ai encré sur ma peau. Je suis de ces hommes qui sont capables d’irrémédiable.

Pour En Toi, le thème majeur est celui de l’amour impossible et pourtant embrassé, étreint de toute son âme. J’y aborde également les changements majeurs concernant l’acceptation des LGBT aux USA entre les années 50 et aujourd’hui, à travers le regard de Thomas qui est témoin des deux époques par la grâce d’un tour de l’univers.

Finalement, dans ces trois romans, j’ai essayé d’écrire un mode d’emploi pour reconstruire sur des décombres, des vies fêlées. J’ai ainsi décrit trois chemins possibles que je ne peux même pas arpenter moi-même. Je commence seulement à me dire qu’on n’est peut-être pas censé devenir des châteaux forts, que l’on peut rester des châteaux de sable, imparfaits, abîmés, voire même en ruines comme une toile d’Hubert Robert, et être heureux et aimé quand même.


Culture Gay : Quel est ton rapport à l’homosexualité, à la lutte contre les LGBTQphobies ?

Pour commencer, je suis gay : j’aime les hommes à la folie, aux traits et au verbe jolis, de préférence dans mon lit ; j’aime leurs peaux arpentées, leurs queues engorgées, leur odeur de vertige, leurs mains de prodiges, leurs fragilités aussi, leurs larmes retenues et celles qu’ils laissent couler, leurs cris de colère et ceux de volupté, l’amertume de leur foutre et la douceur de leurs regards… Et puis… je l’aime, Lui.

Concernant la lutte contre les LGBTQphobies, je ne suis pas un militant actif et visible dans le sens où je ne suis pas engagé dans une association LGBT. Je tente à mon petit niveau de décrire un amour qui se veut universel ; peu importe le genre que vous avez dans la tête, le sexe que vous avez entre les cuisses, le sentiment amoureux que j’essaie inlassablement de délinéer est celui de tous. Je suis intimement convaincu que se reconnaître dans ce genre d’histoire, comprendre ses personnages, épouser leurs émois, participe à gommer peu à peu l’ignorance et la haine qui sont à l’origine des monstruosités qui font encore régulièrement la une.


Culture Gay : Quels sont les livres que tu recommandes et ceux qui t'ont le plus inspiré ?

Barjavel a été le premier auteur duquel je suis réellement tombé en pâmoison, le premier chez qui j’ai découvert une façon de décrire l’amour véritable, l’amour à la folie. La Nuit des Temps est mon livre de chevet depuis que j’ai 14 ans. C’est à mes yeux la plus belle des histoires d’amour jamais écrites. J’étais un ado, et je rêvais d’une romance aussi fabuleuse et tragique que celle-ci, quitte à souffrir, quitte à tout perdre ! Je voulais moi aussi prendre une balle dans le poignet et écrire « Sans rancune » à la plume ! À l’âge où mes camarades de classe enchaînaient des amourettes mouchoirs, moi j’espérais la grande déclaration, l’âme sœur, l’amour de toute une vie. On est très sérieux quand on a 14 ans ! C’est vers cette période que j’ai commencé à écrire avec acharnement, pour combler ce que le réel ne m’apportait pas.

Après ce roman, je n’ai fait que ça : chercher dans les lignes toutes les façons de dire « je t’aime », de dire « j’ai envie de toi », de dire « tu me manques ». Éluard m’a appris la beauté qu’une poignée de mots peut cacher, Verlaine la puissance de la sonorité, les textes de Ferré m’ont enseigné les figures de style, et puis… Riboulet, Guibert, Breton, Laclos, Lelait, Sade, et tant d’autres m’ont fait entrer dans l’univers fabuleux des mots qui ont une odeur, une saveur, celle de l’envie brute, du sexe doux, de la tendre brutalité.

Beaucoup plus tard, je suis tombé par hasard sur Celui qui regardait le Ciel, de Frédéric Bleumalt. Comment vous décrire ce que j’ai ressenti… c’était inouï. Inimaginable. Je lisais, et je me retrouvais dans ces mots, cette façon de chercher l’esthétique du phonème, et le bleu, le bleu partout. Ma grande histoire d’amour, elle était là, dans ces lignes. Parce qu’en lisant ce roman, je suis (re)tombé amoureux de l’écriture, de ce que cela peut m’apporter comme immense joie et insupportable chagrin.

Alors si je devais vous prescrire une liste de livres à dévorer d’urgence, ce serait celle-là :

- La Nuit des Temps, de Barjavel

- Lisières du corps, de Riboulet

- Fou de Vincent, de Guibert

- L’amour fou, de Breton

- Poussière d’homme, de Lelait-Helo

- Capitale de la douleur, de Éluard

- Celui qui Regardait le Ciel, de Bleumalt

- Tableau final de l’amour, de Tremblay

- Dormir avec ceux qu’on aime, de Leroy

- Les Champs de la Fureur, de Ferré


Culture Gay : Quels sont tes projets artistiques ?

En projet immédiat, il y a ce 4e roman qui va fleurir en septembre 2022. Le titre ? Garde-moi la dernière danse. L’histoire ? Fermez les yeux. Florian vous la racontera à travers ses journaux. Elle commence en 1961, au fond de la Savoie, et se poursuit à Paris, à Lyon, traverse les décennies jusqu’à venir s’échouer entre vos mains. Une histoire d’amour ? Bien sûr. Mais pas seulement. Ce sera l’histoire d’un secret de famille. D’une liberté. L’histoire d’une vie plurielle, de la valeur du temps que l’on vole au quotidien pour l’offrir à celui qui en fait de l’or, d’un bonheur si grand qu’il déborde forcément des routes que l’on trace pour nous dès la petite enfance.

Et si je laissais Florian vous en parler ? Voici un extrait de la première page de son journal… (je précise qu’il s’agit de la version de mon manuscrit antérieure aux dernières éventuelles corrections)


« 24 novembre 2013

Certaines histoires restent gravées dans le bois ou dessinées dans la neige à tout jamais, et j’ai longtemps hésité à coucher celle-ci sur papier. Berné par l’immuabilité de ces terres, je pensais avoir encore tout le temps du monde, je me croyais immortel. Le coup de coude de la Faucheuse il y a quelques mois a eu raison de mes doutes. Mais la peur de disparaître est-elle une raison suffisante pour tout dire ? Je ne sais pas. À vrai dire, je ne sais même pas à qui j’adresse ces mots.

Je ne sais pas qui vous serez, vous qui lirez un jour ces lignes. Un lointain descendant portant mon nom et aucun souvenir de mon existence ? Un inconnu ravi d’avoir fait un bon coup immobilier ? Un squatteur à la curiosité bien placée ? Que penserez-vous de moi après votre lecture ? Me comprendrez-vous ? Peut-être que ce que je vais vous raconter dans ces pages vous fera me mépriser. Mais dans ce monde où l’amour est devenu une affaire de convenances, un produit de consommation comme un autre, j’ai la sensation que cette histoire, mon histoire, vaut la peine de prendre enfin la lumière.

Et de lumière, j’en suis plein.

Je suis amoureux.

Éperdument.

Cela fait cinquante-deux ans que je le suis, et le feu brûle avec la même ardeur que le tout premier jour.

Il s’appelle C.

[…]

J’ai tout écrit. Tout ce dont je me souviens. Tous ces morceaux de nous, les couleurs, les odeurs, les sensations, les frôlements, les frissons de chaque instant passé à ses côtés, la douleur de chaque minute écoulée loin de lui. Le temps se fait vrillette sur mes souvenirs, et je crois que c’est ça finalement qui m’a décidé : plus que de partir, j’ai peur de partir en ayant oublié. La faillite de ma mémoire serait une douleur inénarrable, sans doute incompréhensible pour ces jeunes d’aujourd’hui que des machines suivent à la trace du premier au tout dernier jour. Moi… Je n’ai pas de photos de nos premiers regards, pas de traces de nos premiers émois, tout ceci n’existe plus que dans ma tête, alors je vous livre entier son contenu, sans filtre, sans censure. Je sais que ça ne se fait pas de parler de ça pour un vieil homme comme moi mais, bien avant d’être un vieillard abîmé par les années, j’étais, j’ose croire que je suis encore, un homme avec ses élans du cœur et du corps. Les « ça ne se fait pas » m’ont déjà tant pris… Alors, je vous en prie, ne fermez pas les yeux. Ne sautez pas de passage.

À travers vous qui allez me lire, tout ceci continuera d’exister bien après notre départ.


J’avais quinze ans lorsque mon cœur a commencé à battre.

Il s’appelait C. On m’appelait Flo-Rien. Et on sentait dans l’air le parfum des dernières neiges… »


Quoi d’autre…

Mon roman En Toi concourt au Prix du Roman Gay (résultats à la rentrée). C’est un bonheur mêlé d’incrédulité qui me saisit alors que j’écris ces lignes… Quelle chance j’ai…

J’envisage aussi un projet à quatre mains avec l’auteur Tadzio Alicante, et un autre avec ma géniale directrice éditoriale Jeanne Malysa.

Et puis… un cinquième roman a bourgeonné dans ma tête. Il est encore tout jeune, fragile. Une histoire-coquelicot. Pour le moment, je la chéris à l’abri du vent. Je la soigne de quelques mots, une poignée de phrases éparses en attendant la bonne saison.


Culture Gay : Merci beaucoup Gabriel !


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